mercredi 27 août 2014

La Fontaine le philosophe: Le lièvre et la tortue





Jean de La Fontaine n'a jamais observé de tortue. Dans la France du XVIIe, ces animaux ne sont pas présents : il n'y a pas de zoo. Les distances sont trop importantes pour observer les plus proches sur la côte Adriatique de l'Italie ou de la Grèce. La Fontaine est un génial analyste du comportement animal. La Fontaine n'a jamais observé de tortue.

Pourquoi donc mettre une tortue dans la fable du Lièvre et de la Tortue ? Un escargot fait aussi bien -sinon mieux- l'affaire.
Parce qu'il s'inspire d'anciens Grecs, Lafontaine a mis une tortue. Si la plupart des fables sont tirées d'Ésope, celle du Lievre vient du Philosophe Zénon. Vers 400 av. J.-C., Zénon d'Elée postule que si Achille fait la course avec une tortue (il a pu voir des tortues lui) et qu'il lui laisse 10 mètres d'avance, jamais Achille ne rattrapera la tortue, car pendant qu'il parcourt 1 m la tortue parcourt 10 cm, puis pendant qu'il fait 10 cm, elle fait 1 cm. À l'infini.

C'est ce paradoxe que Jean de La Fontaine résout avec cette fable. Sa première réfutation tient dans sa critique du postulat de départ de Zénon. Tout le paradoxe tient, non pas parce que le Grec suppose des distances que l'on peut diviser à l'infinie, mais part un fait bien plus simple que tout le début de la fable met en avant :

Achille ne peut pas rattraper la tortue, non pas parce qu'elle parcourt une petite distance à chaque fois qu'il avance, mais parce qu'il lui a laissé 10 metres d'avance.

Sans cette avance le paradoxe s'effondre. Achille parcourt 1 mètre, la tortue fait 10 cm et Achille a gagné la course. Merci à La Fontaine de nous rappeler ce fait important.

La fable souligne ce point. Le lièvre n'a aucune raison de laisser de l'avance à la tortue. L'essentiel de l'histoire consiste à justifier cette avance qui est logiquement injustifiable. La Fontaine donne une explication (la vanité du lièvre) à cette avance qu'Achille laisse à la tortue dans le paradoxe.

Mais ce n'est pas le point principal. La Fontaine a écrit la fable pour résoudre le paradoxe et il le fait. Après avoir critiqué les prémices illogiques qui fait tenir le paradoxe, il l'attaque la conclusion.
Zénon, avec son paradoxe, veut démontrer que le temps et l'espace ne sont pas infiniment divisibles. Comme Achille rattrape la tortue dans la réalité, c'est parce qu'au bout d'une certaine distance (l'atome) on ne peut plus diviser la distance. En 400 Av. J-C, Zénon prouve l'existence de l'atome.

En 1650, La fontaine prouve la relativité.
Avec la fable, il prétend que La tortue ne peut pas perdre contre Achille par le simple fait qu'elle est partie AVANT lui. Dans son reférentiel temporel elle est toujours devant. Si on lui a donné une avance, la relativité suppose que chaque coureur suit sa propre flèche du temps. Au moment où les deux espaces-temps sont adjacents, Achille dépasse la tortue. Mais tant qu'on lui donne une avance, et que son espace-temps est indépendant, elle est devant pour l'éternité.

La Fontaine finit ses fables par une morale. Du moins les fables qu'il reprend d'Ésope et qui ont un simple enseignement de sagesse et de bon sens. Les fables avec une portée scientifique commencent par la morale « Rien ne sert de courir... Le Lievre et la Tortue en font un témoignage. etc. »

De même, le récit "le Loup et l'agneau" commence par la « morale » : "La raison du plus fort... nous l'allons montrer tout à l'heure... etc. »
C'est une critique d'une pensée célèbre d'Héraclite (philosophe précédent Zénon de quelques années) : « On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve »

Nous verrons une prochaine fois, comment La fontaine démonte l' enseignement de cet autre philosophe grec.