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mercredi 14 janvier 2015

Le Loup et l'agneau est une fable quantique



Nous avons déjà constaté avec la fable du Lièvre et de la Tortue que LaFontaine est un philosophe novateur. Si dans l'autre fable il résout le paradoxe de Zénon, dans celle du Loup et de l'Agneau il frappe encore plus fort.


Il est très important de remarquer que cette fable, contrairement à toutes les autres, commence par la « morale ». On nous l'a enseigné jeune. C'est sans doute tout ce qui nous en reste, ces deux vers éternels : "La raison du plus fort est toujours la meilleure / Nous l'allons montrer tout à l'heure".

Ils sont importants à tout point de vue ces deux vers. Ils présentent la morale de la fable dès le début : pour que nous ne nous focalisions pas dessus, comme pour l'écarter. Le but est plus retors encore.
Ils provoquent aussi un étrange sentiment d'incompréhension. Le "tout à l'heure" ne s'applique pas au passé comme nous en avons l'habitude. Ces deux vers annoncent en fait le thème réel de la fable. Cette fable parle du Temps. Le Temps des philosophes, le mystère ultime que nos physiciens cherchent encore à expliquer. Toutes les équations le prouvent, il n'y a aucune raison que le temps aillent du passé vers le futur. Aucune raison, aucune preuve non plus. Cela LaFontaine nous l'a dit dans cette fable il y a plus de quatre cents ans.

LaFontaine reprend ici une fable de Phèdre. Chez Phèdre, tous les éléments sont déjà là : le loup boit en amont de l'agneau. Le loup accuse l'agneau d'avoir médit de lui l'année précédente. L'agneau rappelle qu'il n'était pas né. Le loup mange l'agneau. Deux différences : La moralité est bien à la fin chez Phèdre. Et le "Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. -je n'en est point" était chez Phèdre "Si ce n'est pas toi, c'est ton père"
Nous allons voir pourquoi le philosophe LaFontaine se distingue dans ces détails de Phèdre.

Mais d'abord, parlons du problème que résout LaFontaine dans cette Fable. La pensée du grec Héraclite dit "personne ne se baigne deux fois dans le même fleuve".
Borges nous rappelle que la pensée est subtile parce que nous comprenons d'abord aisément que le fleuve où je me baigne cette année ne peut pas être celui de l'année dernière. Toute l'eau s'en est écoulée. Comme nous acceptons cette conclusion de façon évidente, nous croyons découvrir et acceptons plus aisément la seconde conclusion : nous avons changé entre cette année et l'année dernière. Même si l'eau était restée la même, on ne se baignerait quand même jamais dans la même eau, parce que NOUS sommes différents d'un instant à l'autre. La doctrine d'Héraclite repose dessus : tout change, rien n'est immuable.
LaFontaine réfute ce raisonnement.

D'abord, il nie que l'eau du fleuve est changée. C'est pour cela que le loup accuse l'agneau de polluer son eau en buvant en amont. Le cours du fleuve importe peu. Pour le fabuliste, qu'importe que l'eau s’écoule : si nous buvons, nous polluons l'ensemble du fleuve. L'idée parait saugrenue. Elle est actuellement envisagée avec beaucoup de sérieux, par les physiciens qui tentent de trouver une explication au temps. Pour eux aussi, quatre cents ans après LaFontaine, il n'y a aucune raison que le fleuve coule dans une direction particulière.

À l'époque LaFontaine ne pouvait pas exprimer sa philosophie de façon aussi limpide. C'est pour cela qu'il recourt à la fable. Il nie l'écoulement du fleuve. Il nie l'existence du temps.
Il le fait dans les deux changements opérés par rapport à Phèdre. Il signale que ce n'est pas le père qui a médit du loup, mais son frère. Le père de l'agneau a parfaitement pu légitimement médire du loup par le passé — si le temps existe tel que nous le connaissons —. LaFontaine, lui, remplace le père, par le frère. Si le temps n'existe pas, il n'y a pas besoin d'un père pour maudire du loup, n'importe qui — ton frère, ton contemporain, qui, lui non plus, n'existait pas l'an dernier — a médit du loup. Parce que la malédiction est éternelle, elle ne s'est pas passé l'an dernier, elle était là de toute éternité. Chaque agneau, toujours, a médit du loup.

Mais la preuve décisive de la volonté de LaFontaine de nier le temps dans sa fable est dans la moralité. Il la place au début. Il prétend que nous l'avons déjà entendu « tout à l'heure », ou que nous allons l'entendre. C'est volontairement que la formulation est confuse. Parce que nous l'avons toujours entendu. Nous l'avons entendu chez Phèdre, nous l'avons toujours su : la raison du plus fort est la meilleure.

 Borges a écrit « Nouvelle réfutation du temps ». Ce titre est une forme de plaisanterie. C'est dans ce texte qu'il parle d'Héraclite et qu'il nie que le temps existe. C'est aussi dans cet article qu'il prétend que chaque auteur est tout les auteurs. Il me plait de croire qu'il savait que LaFontaine, Phèdre, et le futur physicien qui prouvera la non-existence du temps, sont tous le même individu.




mercredi 27 août 2014

La Fontaine le philosophe: Le lièvre et la tortue





Jean de La Fontaine n'a jamais observé de tortue. Dans la France du XVIIe, ces animaux ne sont pas présents : il n'y a pas de zoo. Les distances sont trop importantes pour observer les plus proches sur la côte Adriatique de l'Italie ou de la Grèce. La Fontaine est un génial analyste du comportement animal. La Fontaine n'a jamais observé de tortue.

Pourquoi donc mettre une tortue dans la fable du Lièvre et de la Tortue ? Un escargot fait aussi bien -sinon mieux- l'affaire.
Parce qu'il s'inspire d'anciens Grecs, Lafontaine a mis une tortue. Si la plupart des fables sont tirées d'Ésope, celle du Lievre vient du Philosophe Zénon. Vers 400 av. J.-C., Zénon d'Elée postule que si Achille fait la course avec une tortue (il a pu voir des tortues lui) et qu'il lui laisse 10 mètres d'avance, jamais Achille ne rattrapera la tortue, car pendant qu'il parcourt 1 m la tortue parcourt 10 cm, puis pendant qu'il fait 10 cm, elle fait 1 cm. À l'infini.

C'est ce paradoxe que Jean de La Fontaine résout avec cette fable. Sa première réfutation tient dans sa critique du postulat de départ de Zénon. Tout le paradoxe tient, non pas parce que le Grec suppose des distances que l'on peut diviser à l'infinie, mais part un fait bien plus simple que tout le début de la fable met en avant :

Achille ne peut pas rattraper la tortue, non pas parce qu'elle parcourt une petite distance à chaque fois qu'il avance, mais parce qu'il lui a laissé 10 metres d'avance.

Sans cette avance le paradoxe s'effondre. Achille parcourt 1 mètre, la tortue fait 10 cm et Achille a gagné la course. Merci à La Fontaine de nous rappeler ce fait important.

La fable souligne ce point. Le lièvre n'a aucune raison de laisser de l'avance à la tortue. L'essentiel de l'histoire consiste à justifier cette avance qui est logiquement injustifiable. La Fontaine donne une explication (la vanité du lièvre) à cette avance qu'Achille laisse à la tortue dans le paradoxe.

Mais ce n'est pas le point principal. La Fontaine a écrit la fable pour résoudre le paradoxe et il le fait. Après avoir critiqué les prémices illogiques qui fait tenir le paradoxe, il l'attaque la conclusion.
Zénon, avec son paradoxe, veut démontrer que le temps et l'espace ne sont pas infiniment divisibles. Comme Achille rattrape la tortue dans la réalité, c'est parce qu'au bout d'une certaine distance (l'atome) on ne peut plus diviser la distance. En 400 Av. J-C, Zénon prouve l'existence de l'atome.

En 1650, La fontaine prouve la relativité.
Avec la fable, il prétend que La tortue ne peut pas perdre contre Achille par le simple fait qu'elle est partie AVANT lui. Dans son reférentiel temporel elle est toujours devant. Si on lui a donné une avance, la relativité suppose que chaque coureur suit sa propre flèche du temps. Au moment où les deux espaces-temps sont adjacents, Achille dépasse la tortue. Mais tant qu'on lui donne une avance, et que son espace-temps est indépendant, elle est devant pour l'éternité.

La Fontaine finit ses fables par une morale. Du moins les fables qu'il reprend d'Ésope et qui ont un simple enseignement de sagesse et de bon sens. Les fables avec une portée scientifique commencent par la morale « Rien ne sert de courir... Le Lievre et la Tortue en font un témoignage. etc. »

De même, le récit "le Loup et l'agneau" commence par la « morale » : "La raison du plus fort... nous l'allons montrer tout à l'heure... etc. »
C'est une critique d'une pensée célèbre d'Héraclite (philosophe précédent Zénon de quelques années) : « On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve »

Nous verrons une prochaine fois, comment La fontaine démonte l' enseignement de cet autre philosophe grec.