mercredi 19 août 2015
Les Minions n'ont jamais trouvé Gru.
Il y a dans le film qui met en scène les Minions beaucoup d'incohérences. Pour commencer, on a appris dans le premier : "Moi, môche et méchant" (Despicable Me), que Gru a fabriqué les minions à partir de grain de maïs et avec l'aide du professeur. Ce n'est pas une espèce spontanée, née pour servir, ils ont été construits ainsi par Gru.
Le film adresse directement cette incohérence avec le premier film. Il le fait de façon explicite, en multipliant les indices : Kevin est en train de rêver. Et c'est une fille.
Le film commence quand Kevin décide de pourchasser quelque chose, une idée, rien de plus. Trouver un maitre, dit la voix off. Nous comprenons qu'il ne s'agit que d'un rêve. Kevin est pressé de partir, Kevin pourchasse un lapin blanc.
Kevin est une fille, parce que tout le film est, scène pour scène, une relecture d'Alice au pays des merveilles.
Le premier indice du rêve et ce classique que chacun a déjà éprouvé en dormant : la terreur irrationnelle de parler en public. Kevin lit ses fiches, mais personne ne réagit. Sans que l'on sache pourquoi elle lâche ses fiches. Soudain, son discours galvanise. Parce que c'est un rêve — Pas un cauchemar —, la terreur se résout d'elle-même.
La preuve formelle qu'il s'agit d'une évocation du fameux livre de Lewis Caroll se situe vers la fin du livre. Comment Kevin survit-il sans dommage à une explosion provoquée par un missile ? Tous les Minions le croient mort, parce que l'explosion doit tuer tous ceux dans sa vicinité.
Kevin était géant, l'explosion l'a rendu petit de nouveau. Tout comme Alice a bu la bouteille pour rapetisser.
Le film n'explique pas la présence de cette machine à devenir géant. On n'a vu d'autre gadget, mais aucune mention d'un gadget aussi improbable. Il aurait pourtant été pratique pour voler la couronne. Cette machine miraculeuse qui apparait sans raison, Kevin l'active par erreur après plusieurs mouvements gauches. Ce n'est pas Kevin qui est gauche pourtant ! Depuis le début, c'est Bob à qui les accidents arrivent. Kevin finit d'activer la machine en soufflant dans un trou. Drôle de mécanisme d'activation, qui n'est là que pour rappeler à quoi cela sert de grandir et de rapetisser: passer par un trou. Comme pour Alice qui doit changer de taille pour poursuivre le lapin blanc.
Mais tout le film, rappelle régulièrement l'original. La scène sans justification, ni raison, des Minions jouant au polo sur des chiens, sert à signaler Alice jouant au cricket avec des flamants roses.
Le personnage sans raison de l'aveugle gardant la couronne royale ne sert qu'à évoquer la taupe avec qui Alice boit le thé.
La reine ! Tout le film concerne la reine, la vraie, et la méchante. La voleuse ne désire pas juste voler la couronne pour sa valeur, elle la désire pour devenir reine. Cela n'a aucun sens, la propriété de la couronne ne donne pas le titre. Mais c'est parce que la voleuse est l'ennemie de Kevin. Elle doit être reine parce qu'Alice a la reine de coeur comme ennemie.
Les Minions ne sont pas incompétents. Les Minions ne tuent pas leur maitre. Dans « Despicable Me », ils forment une chaine humaine en quelques secondes pour sauver Gru d'une chute mortelle. Les Minions sont efficaces.
Le film ne parle pas des Minions. Le film est un rêve. Le rêve de Kevin qui s'est endormi quand Gru a raconté l'histoire aux filles pour les endormir juste après les avoir recueillies chez lui ?
mercredi 15 juillet 2015
Les defenseurs de PirateBay.org au seizième siècle
Il y a quelques jours, le 10 juillet, se tenait, comme chaque année en Turquie, la fête de Nasreddine. Les aventures de ce farceur sont publiées courant du seizième siècle. Mais la tradition orale raconte ces exploits depuis au moins le treizième et certaines de ses anecdotes sont déjà présentes un millier d'années plus tôt dans les fables d'Ésope.
Nasreddine est un coquin. Il fut mollah, juge religieux. Il fut battu. Il vola, et prononça des jugements subtils.
À plusieurs centaines de kilomètres de la Turquie, à Brunswick, près d'Hanovre, on raconte les aventures d'un individu semblable. Till Eulenspiegel (littéralement Till Hibou-Miroir) est un farceur. Toujours pauvre, toujours préparant un mauvais coup, volant, se faisant voler, trompant, arnaquant. Ses aventures sont publiées en 1515 à Strasbourg. Mais la tradition orale est antérieure.
Rabelais publie le Pantagruel au début de 1500. Dans un chapitre Panurge (célèbre pour ses moutons) ignore s'il doit se marier ou ne pas le faire. Pantagruel alors lui conseille de consulter Seigny Joan. Seigny Joan, dit-il, est un fou qui vit à Paris. Rien de mieux qu'un fou pour donner de bons conseils. Pour prouver la justesse du jugement de Seigny Joan, Pantagruel raconte une de ses aventures.
Cette aventure est semblable à un vécu par Till Eulenspiegel de l'autre côté du Rhin. C'est aussi la même qu'une de celle de Nasreddine des milliers de kilomètres plus loin :
Nasreddine, où un pauvre (selon le récit) fait mine de se régaler du fumet d'un rôtisseur qui cuit sa viande sur le marché. Excédé de la satisfaction qui se lit sur le visage de Nasreddine, le rôtisseur demande à ce qu'il lui paye le fumet de sa nourriture. Nasreddine, réfléchit un instant. Il sort sa bourse. Puis, il la secoue sous le nez du Rotisseur. Puis il s'en va. Le rôtisseur le retient par la manche réclamant le payement. « Avez-vous bien entendu mes pièces tinter dans ma bourse ?
— Oui.
— Alors vous avez été payé », dit Nasreddine. « Je me suis régalé du fumet d'un poulet, je vous ais payé du son de mon argent."
Voilà l'histoire qui confirme que Seigny Joan a un jugement exemplaire. Ou Till, ou Nasreddine. Cette histoire prétend mettre en avant l'apprêté au gain des commerçants. Elle prétend mettre en valeur les ressources d'ingéniosité que donnent la faim et la misère.
Pourtant ces trois histoires nous sont parvenues par des Nantis. Rabelais, comme les auteurs-compilateurs des histoires de Till Eulenspiegel et de Nasreddine sont des nobles. Ou de riches bourgeois. Ils n'ont jamais connu la faim. Pourtant ils partagent à travers le temps et l'espace un désir de raconter cette anecdote-là.
On peut imaginer qu'un récit semblable existe en Chine, en Amérique du Sud même peut-être. Ce récit n'a pas transgressé les frontières et les époques pour son message égalitaire ou social.
Entre les trois compères, Seigny, Till et Nasreddine, il n'y a pas que le récit du rôtisseur en commun. Il y a aussi leur rôle : chacun d'eux n'a pas de fonction propre, ils sont un coup juge, un coup voleur, un coup saltimbanque, vendeur d'eau, pétrisseur de farine, toujours prêt à tout, toujours sans le sou, toujours prêt à mentir et raconter une histoire.
Ces trois personnages sont des artistes.
Artistes, tout comme ceux qui ont publié leurs aventures.
Rabelais, écrivain génial, a aimé cette histoire. Parce qu'elle parle du statut d'artiste. Elle explique que ce qui s'adresse aux sens (la fumée de la viande) n'a pas de possesseur.
Il est impossible de vendre ce qui s'adresse à un sens. On imagine sans peine la leçon que Rabelais nous tient. Par extension, on ne peut pas payer quelqu'un pour avoir regardé un tableau, ou écouté une symphonie. Voilà le coeur du message de l'anecdote. Voila pourquoi des artistes, nobles et riches, l'ont publié dés l'invention de l'imprimerie.
Une oeuvre d'art ne mérite pas d'autre payement que le bruit de l'or, ou la vue d'une pièce. Parce qu'une oeuvre d'art parle aux sens, elle n'est pas possédée, personne ne vole un tableau en le regardant.
Cinq siècles plus tard, cette maxime de Pantagruel a donné naissance au site Piratebay.org, qui distribue les oeuvres d'art au mépris des règles de copyright. Parce que Seigny Joan, Nasreddine, et Till Eulenspiegel, trois fous, trois artistes, trois juges, en trois endroits différents ont combattu l'injustice.
mercredi 24 juin 2015
Tlon, Uqbar, Orbis Tertius est un projet volontaire de Borges
Il est étonnant que Jorges Luis Borges ait intitulé « Fictions » le recueil qui contient la célèbre nouvelle « Tlon, Uqbar, Orbis Tertius ». La seconde surprise est le titre ésotérique de cette nouvelle. Nous allons voir que ces deux dénominations sont cohérentes et liées.
Pourquoi appeler un recueil « Fictions » ? Ce serait comme intituler un roman « Roman ». Certains présomptueux sans talent l'ont sans doute déjà fait. Mais « Fictions » n'a pas la même portée prétentieuse que « Roman ». Cela nuit à l'ouvrage, puisque le rôle de la fiction, c'est justement de donner l'illusion de la vérité. C'est pour cela que tant de fiction se présente comme des témoignages. Prévenir que ce que le lecteur va lire est une « fiction » défait même le propos du contenu du livre. Surtout que ce livre contient de nombreux récits d'autofiction (avant que le terme ne soit inventé), mettant en scène Borges, et prétendant à la vérité.
Borges a-t-il eu l'intention de ne pas nous tromper ? A-t-il écrit « Tlon, Uqbar, Orbis Tertius », qui raconte l'histoire de la découverte par Borges (l'auteur donc) d'une encyclopédie, qui n'existe qu'à un seul exemplaire, pour nous tromper : en se mettant en scène ? Puis, prit en quelque sorte de remords, a-t-il intitulé le recueil « fiction » pour ne pas nous tromper, et nous rappeler que tout est faux dans ce recueil ?
Non. La nouvelle, et toutes les autres ne sont pas croyables. Personne même en l'absence du titre « fiction » n'irait les prendre pour des témoignages. Un livre y génère des objets qui n'existent pas sur notre planète, un perçoit l'influence d'un homme inconnu, mais parfait à travers la mesquinerie des gens qu'il rencontre, un homme décide de réécrire Don Quichotte, mot pour mot, comme une oeuvre d'art. C'est très fantastique, cela n'appelle pas le doute.
Borges nomme son recueil fiction parce qu'il veut que nous croyions qu'il s'agit d'un faux, parce qu'il y a en réalité beaucoup de vrais dans le récit.
Le propos de Tlon, uqbar, Orbis Tertius est simple : Un mégalomane américain commissionne, savant, artistes, géographes, etc., pour créer l'encyclopédie en 20 volumes du pays illusoire et inventé d'Uqbar. Parmi les informations relatives à la vie sur ce pays, l'encyclopédie précise que Tlon est un monde imaginaire pour les habitants d'Uqbar. Mais que ce monde intervient dans le leur, en y générant des objets parfaits nés de l'espoir des Uqbariens. À la fin de la nouvelle, l'encyclopédie est terminée. Notre monde découvre, et s'amourache, de la vie ordonnée et précise d'Uqbar. Alors Tlon s'insinue aussi dans notre monde, et nous devenons Uqbar.
Borges relate la première influence d'Uqbar sur le monde. Il dit qu'une comtesse trouva lors d'un déménagement une petite boussole portant l'alphabet unique de Tlon pour indiquer un nord différent. Cette trouvaille est précise. La seconde fut faite en présence de Borges. Dans un bar, un alcoolique est retrouvé mort au matin par Borges. Dans ses poches il trouve un petit cône d'une matière bien plus lourde que tout ce qui existe sur terre.
On constate pour ces deux premières apparitions du monde fictif d'Uqbar dans la réalité, Borges est vraisemblablement présent au deux. La boussole de la comtesse est trop anecdotique, pour qu'il n'en soit pas un témoin direct. Quand deux évènements exceptionnels sont observés par une seule personne il est plus juste statistiquement de supposer que ce témoin a en fait joué un rôle pour provoquer ces deux évènements.
Dans le cas de Borges, il a sans doute placé la boussole chez une comtesse de ses amies, puis le cône lourd dans les poches de l'alcoolique. Du moins c'est la conclusion que le lecteur de la nouvelle est amené à se faire. Il est plus simple de penser que Borges a placé ses deux objets que de croire que deux objets créés par idéalisme à partir d'une encyclopédie apparaissent sans raison sur terre, à chaque fois à proximité de Borges.
S'il a placé ces artéfacts, C'est que Borges aussi participe au projet de l'américain. La nouvelle, elle-même n'est qu'une tentative supplémentaire d'invoquer Tlon et ses artéfacts parfaits dans notre monde.
Le titre étrange en est la preuve. « Orbis Tertius » n'apparait qu'une fois en passant dans la nouvelle. Mettre ce terme dans le titre ne sert qu'un seul propos : finir l'acrostiche du titre : T,U,O,T.. Qui a l'envers signifie « TOUT » parce que la nouvelle entend bien « Tout » créer à partir de rien, presque rien: L'histoire d'un monde qui n'existe pas.
Inscription à :
Articles (Atom)