mercredi 18 mars 2015

Le syndrome de Bob l'éponge




Nous avons vu la dernière fois que Bob l'éponge n'est pas un enfant dans le film sorti en 2004.
Il a la cinquantaine. Pourquoi donc chacun insiste pour l'appeler « un enfant » ? De Mr Krabs, à Planckton, en passant par princesse Mindy, le roi Neptune, et le méchant Dennis.

Il y a un parallèle significatif avec un autre personnage qui tient à rester un enfant.
Quand Peter Pan ne peut pas revenir à Neverland s'il devient adulte; Bob ne peux pas aller à Shell City s'il reste enfant.
Quand Peter fait tout pour rester un enfant, Bob tente de passer pour un adulte à tout prix. Quand la fée Clochette donne de la poudre « magique » pour voler (alors qu'il suffit de le vouloir), la sirène Mindy donne de fausses moustaches pour rendre adulte (alors que Bob et Patrick le sont déjà).

C'est dans ces différences que réside la subversion du dessin animé de Bob l'éponge.
En 1983 , Dan   Kiley rencontre le succès en publiant une prétendue analyse appelée « le syndrome de Peter Pan ». Il prétend que certains adultes refusent de grandir. Ils sont atteints d'un syndrome identique à ce qu'exprime Peter Pan : Refut des responsabilités, refus de l'engagement, activités puériles.
Le livre a un succès malgré son manque de rigueur scientifique. Tout l'argument fonctionne à l'aide d'un argument d'autorité, et d'un effet Barnum : nous reconnaissons facilement chez nous certains traits généraux, si on nous les présente comme personnel par quelqu'un dont nous croyons la compétence.

Il n'y a pas de syndrome de Peter Pan. Ou plutôt, chacun regrette plus ou moins son enfance et a plus ou moins de mal à s'engager, et à prendre des décisions importantes et graves.

Bob l'éponge révèle le vrai moteur derrière ce prétendu syndrome.
Ce n'est pas que les adultes se comportent comme des enfants à l'instar de Peter Pan. C'est plutôt que la société a intérêt à infantiliser ses membres.

Pour ne pas accorder de promotion à Bob, son supérieur le qualifie d'« immature ». C'est une solution simple pour lui refuser pouvoir et argent. C'est une solution que la société moderne utilise à chaque instant. Le principe même de promotion à l'ancienneté repose sur ce postulat. Prétendre l'immaturité (la jeunesse) est le moyen pour ceux au pouvoir d'empêcher aux autres d'y accéder.

Pourtant quand Bob propose d'aller à Shell City, la ville dangereuse dont personne n'est revenu, Neptune qui se moquait de son état d'enfant, n'a plus aucune objection.
L'immaturité qui empêche de gérer un restaurant n'est pas un obstacle pour se faire tuer. C'est ce que dénonce le film de Bob l'éponge :

La jeunesse est un défaut si l'on veut réussir dans la société. C'est un atout, si l'on doit mourir pour son pays.

Bob l'éponge n'est pas un enfant. Il est pourtant le sacrifice désigné pour rechercher la couronne du roi. Il y a d'autres enfants à qui l'on nie toutes espèces d'avantages et de droits dans nos sociétés. On leur laisse pourtant le droit de mourir pour nos intérêts financiers. Comble du sarcasme, on les appelle « les enfants de la patrie »







mercredi 18 février 2015

Bob l'éponge n'est pas un enfant





 « Bob l'éponge » est un dessin animé subversif. Ce n'est pas une simple satire grossière du monde moderne comme peut l'être South Park ou les Simsons. C'est bien plus subtil et subversif. C'est sans doute ce qui participe au succès de la série.

Dans le film de Bob l'éponge sorti en 2004, tout le monde insiste pour rappeler à Bob qu'il n'est qu'un enfant. Lui et Patrick finissent même par croire le postulat : ils disent d'eux même qu'ils ne sont que des enfants. Le final montre Bob qui déclare au méchant Plankton qu'il est un enfant, mais que malgré cela il a pu retrouver la couronne de Neptune, affronter le cyclope, etc.Tout cela, comme souvent quand l'on insiste autant sur un point, est faux.

Bob n'est pas un enfant.

Au début du film, il rappelle qu'il a été employé du mois au « Crabe Croustillant », pendant 374 mois consécutifs. 374 mois si l'on calcule, cela fait plus de trente ans. Sans compter les mois où il n'a pas été vainqueur, ni ceux non consécutifs, ni le fait qu'il a vécu avant de travailler chez Mr Crabs.
Bob est dans sa cinquantaine, au mieux.

374 mois, ce n'est pas une erreur de script. La plaisanterie des 374 mois est particulièrement mise en évidence dans une séquence qui montre un mur complet de portrait de Bob qui crie son nom. Ce n'est pas une erreur quand tout le moteur du film tourne autour du fait que Bob est « un enfant ».

374 mois, ce n'est pas un jeu sur la durée de vie d'une éponge (ou d'une étoile de mer, dans le cas de Patrick). La scène ou Bob se saoule avec de la glace, et surtout le lendemain sa gueule de bois, Bob défait, et usé, le présente comme un adulte qui a passé une soirée trop arrosée. Avoir 50 ans pour une éponge ou une étoile de mer c'est comme avoir 50 ans pour un humain. C'est être âgé. En tout cas, ce n'est certainement pas être un enfant.

374 mois, ce n'est pas parce que Bikini bottom fonctionne sur un autre calendrier que le nôtre. Les durées sont identiques. La preuve Bob à 6 jours pour chercher la couronne. Il y a bien 6 jours complets qui passent : première nuit, lui et Patrick arrivent au bar. Seconde, ils franchissent la tranchée. Au moins, une nuit passe quand ils se retrouvent capturés par le cyclope. Donc on a déjà au moins quatre jours. Si l'on considère le retour sur le dos de David Hasselhof, on approche des cinq, six jours. Donc même si pour Bikini Bottom six jours passe pour nous en 4 jours, les 374 mois représentent encore près de vingt ans.

Non Bob n'est pas un enfant.
La prochaine fois nous verrons en quoi c'est subversif, et comment ce détail participe à une critique virulente de notre société.

mercredi 14 janvier 2015

Le Loup et l'agneau est une fable quantique



Nous avons déjà constaté avec la fable du Lièvre et de la Tortue que LaFontaine est un philosophe novateur. Si dans l'autre fable il résout le paradoxe de Zénon, dans celle du Loup et de l'Agneau il frappe encore plus fort.


Il est très important de remarquer que cette fable, contrairement à toutes les autres, commence par la « morale ». On nous l'a enseigné jeune. C'est sans doute tout ce qui nous en reste, ces deux vers éternels : "La raison du plus fort est toujours la meilleure / Nous l'allons montrer tout à l'heure".

Ils sont importants à tout point de vue ces deux vers. Ils présentent la morale de la fable dès le début : pour que nous ne nous focalisions pas dessus, comme pour l'écarter. Le but est plus retors encore.
Ils provoquent aussi un étrange sentiment d'incompréhension. Le "tout à l'heure" ne s'applique pas au passé comme nous en avons l'habitude. Ces deux vers annoncent en fait le thème réel de la fable. Cette fable parle du Temps. Le Temps des philosophes, le mystère ultime que nos physiciens cherchent encore à expliquer. Toutes les équations le prouvent, il n'y a aucune raison que le temps aillent du passé vers le futur. Aucune raison, aucune preuve non plus. Cela LaFontaine nous l'a dit dans cette fable il y a plus de quatre cents ans.

LaFontaine reprend ici une fable de Phèdre. Chez Phèdre, tous les éléments sont déjà là : le loup boit en amont de l'agneau. Le loup accuse l'agneau d'avoir médit de lui l'année précédente. L'agneau rappelle qu'il n'était pas né. Le loup mange l'agneau. Deux différences : La moralité est bien à la fin chez Phèdre. Et le "Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. -je n'en est point" était chez Phèdre "Si ce n'est pas toi, c'est ton père"
Nous allons voir pourquoi le philosophe LaFontaine se distingue dans ces détails de Phèdre.

Mais d'abord, parlons du problème que résout LaFontaine dans cette Fable. La pensée du grec Héraclite dit "personne ne se baigne deux fois dans le même fleuve".
Borges nous rappelle que la pensée est subtile parce que nous comprenons d'abord aisément que le fleuve où je me baigne cette année ne peut pas être celui de l'année dernière. Toute l'eau s'en est écoulée. Comme nous acceptons cette conclusion de façon évidente, nous croyons découvrir et acceptons plus aisément la seconde conclusion : nous avons changé entre cette année et l'année dernière. Même si l'eau était restée la même, on ne se baignerait quand même jamais dans la même eau, parce que NOUS sommes différents d'un instant à l'autre. La doctrine d'Héraclite repose dessus : tout change, rien n'est immuable.
LaFontaine réfute ce raisonnement.

D'abord, il nie que l'eau du fleuve est changée. C'est pour cela que le loup accuse l'agneau de polluer son eau en buvant en amont. Le cours du fleuve importe peu. Pour le fabuliste, qu'importe que l'eau s’écoule : si nous buvons, nous polluons l'ensemble du fleuve. L'idée parait saugrenue. Elle est actuellement envisagée avec beaucoup de sérieux, par les physiciens qui tentent de trouver une explication au temps. Pour eux aussi, quatre cents ans après LaFontaine, il n'y a aucune raison que le fleuve coule dans une direction particulière.

À l'époque LaFontaine ne pouvait pas exprimer sa philosophie de façon aussi limpide. C'est pour cela qu'il recourt à la fable. Il nie l'écoulement du fleuve. Il nie l'existence du temps.
Il le fait dans les deux changements opérés par rapport à Phèdre. Il signale que ce n'est pas le père qui a médit du loup, mais son frère. Le père de l'agneau a parfaitement pu légitimement médire du loup par le passé — si le temps existe tel que nous le connaissons —. LaFontaine, lui, remplace le père, par le frère. Si le temps n'existe pas, il n'y a pas besoin d'un père pour maudire du loup, n'importe qui — ton frère, ton contemporain, qui, lui non plus, n'existait pas l'an dernier — a médit du loup. Parce que la malédiction est éternelle, elle ne s'est pas passé l'an dernier, elle était là de toute éternité. Chaque agneau, toujours, a médit du loup.

Mais la preuve décisive de la volonté de LaFontaine de nier le temps dans sa fable est dans la moralité. Il la place au début. Il prétend que nous l'avons déjà entendu « tout à l'heure », ou que nous allons l'entendre. C'est volontairement que la formulation est confuse. Parce que nous l'avons toujours entendu. Nous l'avons entendu chez Phèdre, nous l'avons toujours su : la raison du plus fort est la meilleure.

 Borges a écrit « Nouvelle réfutation du temps ». Ce titre est une forme de plaisanterie. C'est dans ce texte qu'il parle d'Héraclite et qu'il nie que le temps existe. C'est aussi dans cet article qu'il prétend que chaque auteur est tout les auteurs. Il me plait de croire qu'il savait que LaFontaine, Phèdre, et le futur physicien qui prouvera la non-existence du temps, sont tous le même individu.