mercredi 15 juillet 2015

Les defenseurs de PirateBay.org au seizième siècle








Il y a quelques jours, le 10 juillet, se tenait, comme chaque année en Turquie, la fête de Nasreddine. Les aventures de ce farceur sont publiées courant du seizième  siècle. Mais la tradition orale raconte ces exploits depuis au moins le treizième et certaines de ses anecdotes sont déjà présentes un millier d'années plus tôt dans les fables d'Ésope.

Nasreddine est un coquin. Il fut mollah, juge religieux. Il fut battu. Il vola, et prononça des jugements subtils.
À plusieurs centaines de kilomètres de la Turquie, à Brunswick, près d'Hanovre, on raconte les aventures d'un individu semblable. Till Eulenspiegel (littéralement Till Hibou-Miroir) est un farceur. Toujours pauvre, toujours préparant un mauvais coup, volant, se faisant voler, trompant, arnaquant. Ses aventures sont publiées en 1515 à Strasbourg. Mais la tradition orale est antérieure.

Rabelais publie le Pantagruel au début de 1500. Dans un chapitre Panurge (célèbre pour ses moutons) ignore s'il doit se marier ou ne pas le faire. Pantagruel alors lui conseille de consulter Seigny Joan. Seigny Joan, dit-il, est un fou qui vit à Paris. Rien de mieux qu'un fou pour donner de bons conseils. Pour prouver la justesse du jugement de Seigny Joan, Pantagruel raconte une de ses aventures.

Cette aventure est semblable à un vécu par Till Eulenspiegel de l'autre côté du Rhin. C'est aussi la même qu'une de celle de Nasreddine des milliers de kilomètres plus loin :

Nasreddine, où un pauvre (selon le récit) fait mine de se régaler du fumet d'un rôtisseur qui cuit sa viande sur le marché. Excédé de la satisfaction qui se lit sur le visage de Nasreddine, le rôtisseur demande à ce qu'il lui paye le fumet de sa nourriture. Nasreddine, réfléchit un instant. Il sort sa bourse. Puis, il la secoue sous le nez du Rotisseur. Puis il s'en va. Le rôtisseur le retient par la manche réclamant le payement. « Avez-vous bien entendu mes pièces tinter dans ma bourse ?
— Oui.
— Alors vous avez été payé », dit Nasreddine. « Je me suis régalé du fumet d'un poulet, je vous ais payé du son de mon argent."

Voilà l'histoire qui confirme que Seigny Joan a un jugement exemplaire. Ou Till, ou Nasreddine. Cette histoire prétend mettre en avant l'apprêté au gain des commerçants. Elle prétend mettre en valeur les ressources d'ingéniosité que donnent la faim et la misère.

Pourtant ces trois histoires nous sont parvenues par des Nantis. Rabelais, comme les auteurs-compilateurs des histoires de Till Eulenspiegel et de Nasreddine sont des nobles. Ou de riches bourgeois. Ils n'ont jamais connu la faim. Pourtant ils partagent à travers le temps et l'espace un désir de raconter cette anecdote-là.

On peut imaginer qu'un récit semblable existe en Chine, en Amérique du Sud même peut-être. Ce récit n'a pas transgressé les frontières et les époques pour son message égalitaire ou social.

Entre les trois compères, Seigny, Till et Nasreddine, il n'y a pas que le récit du rôtisseur en commun. Il y a aussi leur rôle : chacun d'eux n'a pas de fonction propre, ils sont un coup juge, un coup voleur, un coup saltimbanque, vendeur d'eau, pétrisseur de farine, toujours prêt à tout, toujours sans le sou, toujours prêt à mentir et raconter une histoire.
Ces trois personnages sont des artistes.

Artistes, tout comme ceux qui ont publié leurs aventures.

 Rabelais, écrivain génial, a aimé cette histoire. Parce qu'elle parle du statut d'artiste. Elle explique que ce qui s'adresse aux sens (la fumée de la viande) n'a pas de possesseur.
Il est impossible de vendre ce qui s'adresse à un sens. On imagine sans peine la leçon que Rabelais nous tient. Par extension, on ne peut pas payer quelqu'un pour avoir regardé un tableau, ou écouté une symphonie. Voilà le coeur du message de l'anecdote. Voila pourquoi des artistes, nobles et riches, l'ont publié dés l'invention de l'imprimerie.

Une oeuvre d'art ne mérite pas d'autre payement que le bruit de l'or, ou la vue d'une pièce. Parce qu'une oeuvre d'art parle aux sens, elle n'est pas possédée, personne ne vole un tableau en le regardant.

Cinq siècles plus tard, cette maxime de Pantagruel a donné naissance au site Piratebay.org, qui distribue les oeuvres d'art au mépris des règles de copyright. Parce que Seigny Joan, Nasreddine, et Till Eulenspiegel, trois fous, trois artistes, trois juges, en trois endroits différents ont combattu l'injustice.



mercredi 24 juin 2015

Tlon, Uqbar, Orbis Tertius est un projet volontaire de Borges





Il est étonnant que Jorges Luis Borges ait intitulé « Fictions » le recueil qui contient la célèbre nouvelle « Tlon, Uqbar, Orbis Tertius ». La seconde surprise est le titre ésotérique de cette nouvelle. Nous allons voir que ces deux dénominations sont cohérentes et liées.

Pourquoi appeler un recueil « Fictions » ? Ce serait comme intituler un roman « Roman ». Certains présomptueux sans talent l'ont sans doute déjà fait. Mais « Fictions » n'a pas la même portée prétentieuse que « Roman ». Cela nuit à l'ouvrage, puisque le rôle de la fiction, c'est justement de donner l'illusion de la vérité. C'est pour cela que tant de fiction se présente comme des témoignages. Prévenir que ce que le lecteur va lire est une « fiction » défait même le propos du contenu du livre. Surtout que ce livre contient de nombreux récits d'autofiction (avant que le terme ne soit inventé), mettant en scène Borges, et prétendant à la vérité.

Borges a-t-il eu l'intention de ne pas nous tromper ? A-t-il écrit « Tlon, Uqbar, Orbis Tertius », qui raconte l'histoire de la découverte par Borges (l'auteur donc) d'une encyclopédie, qui n'existe qu'à un seul exemplaire, pour nous tromper : en se mettant en scène ? Puis, prit en quelque sorte de remords, a-t-il intitulé le recueil « fiction » pour ne pas nous tromper, et nous rappeler que tout est faux dans ce recueil ?

Non. La nouvelle, et toutes les autres ne sont pas croyables. Personne même en l'absence du titre « fiction » n'irait les prendre pour des témoignages. Un livre y génère des objets qui n'existent pas sur notre planète, un perçoit l'influence d'un homme inconnu, mais parfait à travers la mesquinerie des gens qu'il rencontre, un homme décide de réécrire Don Quichotte, mot pour mot, comme une oeuvre d'art. C'est très fantastique, cela n'appelle pas le doute.

Borges nomme son recueil fiction parce qu'il veut que nous croyions qu'il s'agit d'un faux, parce qu'il y a en réalité beaucoup de vrais dans le récit.

Le propos de Tlon, uqbar, Orbis Tertius est simple : Un mégalomane américain commissionne, savant, artistes, géographes, etc., pour créer l'encyclopédie en 20 volumes du pays illusoire et inventé d'Uqbar. Parmi les informations relatives à la vie sur ce pays, l'encyclopédie précise que Tlon est un monde imaginaire pour les habitants d'Uqbar. Mais que ce monde intervient dans le leur, en y générant des objets parfaits nés de l'espoir des Uqbariens. À la fin de la nouvelle, l'encyclopédie est terminée. Notre monde découvre, et s'amourache, de la vie ordonnée et précise d'Uqbar. Alors Tlon s'insinue aussi dans notre monde, et nous devenons Uqbar.

Borges relate la première influence d'Uqbar sur le monde. Il dit qu'une comtesse trouva lors d'un déménagement une petite boussole portant l'alphabet unique de Tlon pour indiquer un nord différent. Cette trouvaille est précise. La seconde fut faite en présence de Borges. Dans un bar, un alcoolique est retrouvé mort au matin par Borges. Dans ses poches il trouve un petit cône d'une matière bien plus lourde que tout ce qui existe sur terre.

On constate pour ces deux premières apparitions du monde fictif d'Uqbar dans la réalité, Borges est vraisemblablement présent au deux. La boussole de la comtesse est trop anecdotique, pour qu'il n'en soit pas un témoin direct. Quand deux évènements exceptionnels sont observés par une seule personne il est plus juste statistiquement de supposer que ce témoin a en fait joué un rôle pour provoquer ces deux évènements.

Dans le cas de Borges, il a sans doute placé la boussole chez une comtesse de ses amies, puis le cône lourd dans les poches de l'alcoolique. Du moins c'est la conclusion que le lecteur de la nouvelle est amené à se faire. Il est plus simple de penser que Borges a placé ses deux objets que de croire que deux objets créés par idéalisme à partir d'une encyclopédie apparaissent sans raison sur terre, à chaque fois à proximité de Borges.

S'il a placé ces artéfacts, C'est que Borges aussi participe au projet de l'américain. La nouvelle, elle-même n'est qu'une tentative supplémentaire d'invoquer Tlon et ses artéfacts parfaits dans notre monde.

Le titre étrange en est la preuve. « Orbis Tertius » n'apparait qu'une fois en passant dans la nouvelle. Mettre ce terme dans le titre ne sert qu'un seul propos : finir l'acrostiche du titre : T,U,O,T.. Qui a l'envers signifie « TOUT » parce que la nouvelle entend bien « Tout » créer à partir de rien, presque rien: L'histoire d'un monde qui n'existe pas.

mercredi 20 mai 2015

Mad Max, la route furieuse, se termine mal




Aucun détail du dernier Mad Max (fury road) n'est l'effet du hasard. La chaine, qui retient Mad Max au Garçon de guerre, sert d'arme dans le combat avec Furiosa puis accroche l'arbre qui sert à désembourber le camion. L'arbre et les animaux étranges qui l'entourent servent de signe sur ce qu'il est advenu de « l'endroit vert ». Le décompte des munitions et des quatre balles du gros flingue est essentiel quand il s'agit de tirer sur « Gros Pied ». Les femmes du Harem ont chacune une fonction nécessaire à l'histoire, l'une trahit, l'une sert de motivation à la colère d'Immortan Joe, l'une retourne un ennemi, la dernière prie.

Chaque détail compte le plus important est sans doute ce que fait Max. Max, hormis les combats et sa fonction de « globular », ne fait que deux choses : il conduit et... il dessine une carte;
Car ce qui est important dans Mad Max est de savoir où se déroule le film. Parce que ce n'est que si l'on sait où le film se déroule que l'on peut comprendre tout ce qui se passe à la fin, et surtout ce qu'il s'est passé avant.

Parce qu'Immortan Joe (L'immortel Joe en français) est présenté comme un être sensible. Il ne vend pas l'eau aux mendiants, il la donne, en abondance par pure bonté d'âme. Il prévient qu'il ne faut pas devenir dépendant. Plus tard, il manque mourir pour éviter de blesser une des femmes.
C'est important.

Revenons au lieu de la forteresse. Furiosa, dans sa toute première phrase déclare qu'elle met « cap à l'Est ». Parce que le lieu est important, c'est aussi pour cela que la seule activité de Max est de dessiner une carte.
Furiosa part à l'Est. Après plusieurs heures (1 journée), elle se retrouve devant le désert de sel.
Dans ce monde apocalyptique où l'eau a disparu, un désert de sel ne peut être qu'une seule chose : un ancien océan désormais asséché.
Nous savons donc que la citadelle se trouve à l'ouest d'un ancien océan. Puis Max (qui s'y connait en cartes) déclare que si Furiosa voyage 160 jours à travers le désert de sel elle ne trouvera rien. 160 jours en moto c'est un long trajet. Même si l'on considère que les voyageuses roulent prudemment, économisent l'essence, et s'arrêtent régulièrement, elles font au moins 100 km par jour. Donc Max estime que le désert de sel continue sur au moins 16 000km.
Nous ne sommes donc pas aux États-Unis comme on aurait pu le croire.
Le seul Océan où l'on peut couvrir cette distance sans voir une terre (sans sortir du désert de sel) est le Pacifique. Si l'on part de l'Afrique.

Le reste du film prend alors sens: La citadelle se trouve à portée de vue d'une raffinerie. Le pétrole abonde ici. Le dictateur possède un harem, il vêt ses femmes de voiles. Nous sommes au Moyen-Orient. La citadelle se trouve sur une montagne : Alamut.

Alamut, l'autre citadelle où régnait le « vieux de la montagne » (Immortan possède aussi un nom qui évoque son âge).
Alamut, repaire de la secte des « Hashishin » qui se jetaient du haut de ses murailles sur un simple ordre pour rejoindre le paradis (« Sois témoin »). Les Assassins sont drogués aux Haschich, comme les « garçons de guerre » à la bombe aérosol, avant de se suicider.

Immortan Joe, le vieux de la Montagne, est un héros. Il fait le bien, fait vivre une communauté. Alain dans « de la guerre » décrit la scène ou les croisés sont témoins du pouvoir du vieux de la montagne qui envoie ses hommes à la mort sur un ordre. Il déclare que le vrai pouvoir consiste à placer un homme entre l'obéissance absolue et la mort immédiate. Ce philosophe nous livre une information inutile à propos du pouvoir détenu par vieux de la montagne. Ce qui compte c'est que le pouvoir absolu détenu par le maître de la citadelle va (selon cet autre philosophe) le corrompre absolument.

C'est pour cela que Furiosa (un bon nom de méchant) est acclamé à son arrivée. Parce que comme Immortan Joe, elle est charismatique et pétrie de bonne intention. Comme lui elle finira un dictateur blessé avec ses propres excès. C'est pour cela que Max s'en va. Alamut, il connait, il en a tracé la carte, il sait que rien ne résiste à sa corruption.