mercredi 16 septembre 2015

Les téléphones portables n'ont jamais eu de succès




Il convient d'abord d'écarter certains mythes liés aux téléphones portables. Mais en écartant ces mythes nous nous rappellerons que c'est nous, nous-mêmes qui les avons développés pour nous même. C'est une illusion que nous maintenons contre toutes les évidences. Nous voulons croire que nous utilisons un téléphone. Ce n'a jamais été le cas.

  • Mythe 1 : Les téléphones portables servent à parler
Au début, c'est ainsi que les portables ont été présentés: la possibilité de parler à nos proches/collègues à tout moment, en quelque lieu que nous soyons. Si professionnellement ça peut vaguement se justifier pour certaines activités très précises (vendeurs-représentants), personne n'a jamais utilisé son téléphone en ce sens. Bien sûr on appelle un ami, de la famille, quand on marche sur le trottoir, dans le train, ou pour les plus irresponsables depuis nos voitures. Mais le propos n'est jamais d'avoir une conversation: il s'agit de préciser une heure d'arrivée, une question pratique, un retard éventuel, une annonce de ponctualité, une confirmation. Ce n'est pas de la communication, avec un échange d'idée et d'opinions, c'est un échange factuel destiné à clarifier.

  • Mythe 2 : Les téléphones permettent d'être joignable
L'argument central en faveur du prétendu téléphone est la possibilité d'être accessible à tout moment ou que nous soyons. Si nous écoutons les zélateurs de cet usage, notre vie est en danger si nous n'avons pas de moyens d'être contactés. Certains vieillards sur des bancs vermoulus, ou des animateurs de journaux télévisés racontent qu'Untel était perdu dans les bois quand il a pu laisser un message. Plus souvent, Untel avait crevé sur la nationale, mais grâce à son téléphone il a appelé un dépanneur. Encore plus régulièrement, au point que c'est devenu une blague, un cliché, un point d'ancrage des mauvais comiques : le téléphone permet de savoir s'il faut ramener du pain de la boulangerie. Cette blague persiste depuis si longtemps parce qu'elle illustre parfaitement l'absence totale d'utilité de téléphone. Le seul moyen de l'utiliser dans sa fonction salvatrice d'être joignable tout le temps, et de l'utiliser au moment trivial de faire les commissions. Rien d'un outil pour sauver des vies, tout juste un sauvetage du repas du soir.

Ces deux mythes sont révélés comme tels, par l'usage réel des téléphones. Les portables ont commencé à devenir omniprésents début 2000 quand les textos ont fait leurs apparitions. À partir de là, ce « téléphone » est devenu notre outil préféré. Parce qu'il permet, non pas ,de téléphoner (c'est tout au plus une fonction accessoire agréable, comme la photo, ou le lecteur de musique), mais surtout de communiquer par texte.

Parce que l'outil que nous voulons avec nous à tout instant est un simple ordinateur. Sa fonction n'a jamais été de communiquer. Sa fonction est de nous distraire. Sa fonction est au contraire de couper, d'empêcher, d'interdire même, toute communication avec notre entourage.
Parce que nous sommes assaillis de stimulus sociaux, parce qu'il y a du monde partout dans les rues, les métros, aux cafés, sur les bancs. Trop de personne, dont nous souhaitons à tout prix nous soustraire : on sort son ordinateur de poche. Tranquille.

Il y a une raison pour laquelle les autres formes d'ordinateur de poches ne marcheront jamais (je le dis ici pour dans 50 ans). Les lunettes de google, les montres d'apple, les colliers, bagues, ou même les vêtements avec connexions WiFi qu'un futur inventeur se hâtera de créer en espérant répliquer le succès de l'ordinateur de poche qui a pris le nom de « téléphone » ; tous ces accessoires ne marcheront jamais. Il a fallu la connexion d'un ordinateur avec l'illusion de prétendre qu'il s'agit d'un téléphone pour que nous utilisions des ordinateurs de poches.

Parce que :

  • Mythe3 : Nous souhaitons être connectés
L'ordinateur de poche nous convient parce qu'il évite le rapprochement, la proximité avec l'entourage direct. Le téléphone permet de nous extraire de la société. Pour cela qu'il devient de plus en plus grand : pour cacher à nos yeux le reste du monde. Pour cela qu'il contient des jeux ennuyeux et répétitifs, parce qu'il ne s'agit pas de s'amuser, mais de passer le temps hors de chez soi en gardant l'illusion de rester chez soi. Pour cela qu'il doit être connecté : parce qu'il faut pouvoir vérifier sur internet l'auteur d'une chanson, le nom d'un acteur, la météo du jour, plutôt que de continuer la discussion à propos de la chanson, du film, ou du temps du jour. Tout pour ne pas interagir. Tout pour nous déconnecter du réel.

C'est pour cela que le seul gadget qui nous permet d'utiliser un ordinateur de poche au quotidien ne peut être qu'un objet mythique qui prétend enrichir nos relations. On l'a appelé « téléphone » parce qu'on ne parle à personne avec . Nous l'utilisons pour tous les moyens par lesquels il nous distance des autres. Pour rester loin. Et nous refusons d'admettre cette réalité, parce qu'elle revient à admettre que nous sommes des goujats.





mercredi 19 août 2015

Les Minions n'ont jamais trouvé Gru.



Il y a dans le film qui met en scène les Minions beaucoup d'incohérences. Pour commencer, on a appris dans le premier : "Moi, môche et méchant" (Despicable Me), que Gru a fabriqué les minions à partir de grain de maïs et avec l'aide du professeur. Ce n'est pas une espèce spontanée, née pour servir, ils ont été construits ainsi par Gru.

Le film adresse directement cette incohérence avec le premier film. Il le fait de façon explicite, en multipliant les indices : Kevin est en train de rêver. Et c'est une fille.

Le film commence quand Kevin décide de pourchasser quelque chose, une idée, rien de plus. Trouver un maitre, dit la voix off. Nous comprenons qu'il ne s'agit que d'un rêve. Kevin est pressé de partir, Kevin pourchasse un lapin blanc.

Kevin est une fille, parce que tout le film est, scène pour scène, une relecture d'Alice au pays des merveilles.

Le premier indice du rêve et ce classique que chacun a déjà éprouvé en dormant : la terreur irrationnelle de parler en public. Kevin lit ses fiches, mais personne ne réagit. Sans que l'on sache pourquoi elle lâche ses fiches. Soudain, son discours galvanise. Parce que c'est un rêve — Pas un cauchemar —, la terreur se résout d'elle-même.

La preuve formelle qu'il s'agit d'une évocation du fameux livre de Lewis Caroll se situe vers la fin du livre. Comment Kevin survit-il sans dommage à une explosion provoquée par un missile ? Tous les Minions le croient mort, parce que l'explosion doit tuer tous ceux dans sa vicinité.

Kevin était géant, l'explosion l'a rendu petit de nouveau. Tout comme Alice a bu la bouteille pour rapetisser.

Le film n'explique pas la présence de cette machine à devenir géant. On n'a vu d'autre gadget, mais aucune mention d'un gadget aussi improbable. Il aurait pourtant été pratique pour voler la couronne. Cette machine miraculeuse qui apparait sans raison, Kevin l'active par erreur après plusieurs mouvements gauches. Ce n'est pas Kevin qui est gauche pourtant ! Depuis le début, c'est Bob à qui les accidents arrivent. Kevin finit d'activer la machine en soufflant dans un trou. Drôle de mécanisme d'activation, qui n'est là que pour rappeler à quoi cela sert de grandir et de rapetisser: passer par un trou. Comme pour Alice qui doit changer de taille pour poursuivre le lapin blanc.

Mais tout le film, rappelle régulièrement l'original. La scène sans justification, ni raison, des Minions jouant au polo sur des chiens, sert à signaler Alice jouant au cricket avec des flamants roses.
Le personnage sans raison de l'aveugle gardant la couronne royale ne sert qu'à évoquer la taupe avec qui Alice boit le thé.

La reine ! Tout le film concerne la reine, la vraie, et la méchante. La voleuse ne désire pas juste voler la couronne pour sa valeur, elle la désire pour devenir reine. Cela n'a aucun sens, la propriété de la couronne ne donne pas le titre. Mais c'est parce que la voleuse est l'ennemie de Kevin. Elle doit être reine parce qu'Alice a la reine de coeur comme ennemie.

Les Minions ne sont pas incompétents. Les Minions ne tuent pas leur maitre. Dans « Despicable Me », ils forment une chaine humaine en quelques secondes pour sauver Gru d'une chute mortelle. Les Minions sont efficaces.

Le film ne parle pas des Minions. Le film est un rêve. Le rêve de Kevin qui s'est endormi quand Gru a raconté l'histoire aux filles pour les endormir juste après les avoir recueillies chez lui ?

mercredi 15 juillet 2015

Les defenseurs de PirateBay.org au seizième siècle








Il y a quelques jours, le 10 juillet, se tenait, comme chaque année en Turquie, la fête de Nasreddine. Les aventures de ce farceur sont publiées courant du seizième  siècle. Mais la tradition orale raconte ces exploits depuis au moins le treizième et certaines de ses anecdotes sont déjà présentes un millier d'années plus tôt dans les fables d'Ésope.

Nasreddine est un coquin. Il fut mollah, juge religieux. Il fut battu. Il vola, et prononça des jugements subtils.
À plusieurs centaines de kilomètres de la Turquie, à Brunswick, près d'Hanovre, on raconte les aventures d'un individu semblable. Till Eulenspiegel (littéralement Till Hibou-Miroir) est un farceur. Toujours pauvre, toujours préparant un mauvais coup, volant, se faisant voler, trompant, arnaquant. Ses aventures sont publiées en 1515 à Strasbourg. Mais la tradition orale est antérieure.

Rabelais publie le Pantagruel au début de 1500. Dans un chapitre Panurge (célèbre pour ses moutons) ignore s'il doit se marier ou ne pas le faire. Pantagruel alors lui conseille de consulter Seigny Joan. Seigny Joan, dit-il, est un fou qui vit à Paris. Rien de mieux qu'un fou pour donner de bons conseils. Pour prouver la justesse du jugement de Seigny Joan, Pantagruel raconte une de ses aventures.

Cette aventure est semblable à un vécu par Till Eulenspiegel de l'autre côté du Rhin. C'est aussi la même qu'une de celle de Nasreddine des milliers de kilomètres plus loin :

Nasreddine, où un pauvre (selon le récit) fait mine de se régaler du fumet d'un rôtisseur qui cuit sa viande sur le marché. Excédé de la satisfaction qui se lit sur le visage de Nasreddine, le rôtisseur demande à ce qu'il lui paye le fumet de sa nourriture. Nasreddine, réfléchit un instant. Il sort sa bourse. Puis, il la secoue sous le nez du Rotisseur. Puis il s'en va. Le rôtisseur le retient par la manche réclamant le payement. « Avez-vous bien entendu mes pièces tinter dans ma bourse ?
— Oui.
— Alors vous avez été payé », dit Nasreddine. « Je me suis régalé du fumet d'un poulet, je vous ais payé du son de mon argent."

Voilà l'histoire qui confirme que Seigny Joan a un jugement exemplaire. Ou Till, ou Nasreddine. Cette histoire prétend mettre en avant l'apprêté au gain des commerçants. Elle prétend mettre en valeur les ressources d'ingéniosité que donnent la faim et la misère.

Pourtant ces trois histoires nous sont parvenues par des Nantis. Rabelais, comme les auteurs-compilateurs des histoires de Till Eulenspiegel et de Nasreddine sont des nobles. Ou de riches bourgeois. Ils n'ont jamais connu la faim. Pourtant ils partagent à travers le temps et l'espace un désir de raconter cette anecdote-là.

On peut imaginer qu'un récit semblable existe en Chine, en Amérique du Sud même peut-être. Ce récit n'a pas transgressé les frontières et les époques pour son message égalitaire ou social.

Entre les trois compères, Seigny, Till et Nasreddine, il n'y a pas que le récit du rôtisseur en commun. Il y a aussi leur rôle : chacun d'eux n'a pas de fonction propre, ils sont un coup juge, un coup voleur, un coup saltimbanque, vendeur d'eau, pétrisseur de farine, toujours prêt à tout, toujours sans le sou, toujours prêt à mentir et raconter une histoire.
Ces trois personnages sont des artistes.

Artistes, tout comme ceux qui ont publié leurs aventures.

 Rabelais, écrivain génial, a aimé cette histoire. Parce qu'elle parle du statut d'artiste. Elle explique que ce qui s'adresse aux sens (la fumée de la viande) n'a pas de possesseur.
Il est impossible de vendre ce qui s'adresse à un sens. On imagine sans peine la leçon que Rabelais nous tient. Par extension, on ne peut pas payer quelqu'un pour avoir regardé un tableau, ou écouté une symphonie. Voilà le coeur du message de l'anecdote. Voila pourquoi des artistes, nobles et riches, l'ont publié dés l'invention de l'imprimerie.

Une oeuvre d'art ne mérite pas d'autre payement que le bruit de l'or, ou la vue d'une pièce. Parce qu'une oeuvre d'art parle aux sens, elle n'est pas possédée, personne ne vole un tableau en le regardant.

Cinq siècles plus tard, cette maxime de Pantagruel a donné naissance au site Piratebay.org, qui distribue les oeuvres d'art au mépris des règles de copyright. Parce que Seigny Joan, Nasreddine, et Till Eulenspiegel, trois fous, trois artistes, trois juges, en trois endroits différents ont combattu l'injustice.