Il n'y a aucun
récit célèbre dans l'histoire de l'humanité qui parle d'amitié.
Don Quichotte est
plus le maitre de Sancho Panza, ou l'un est le faire-valoir de l'autre. Achille
et Patrocle sont amants. Bouvard et Pecuchet sont les deux facettes de la même
pièce, presque un seul individu.
L'amitié n'est pas
un sujet de roman, même pas une bonne histoire. Au mieux elle cache un amour
secret, au pire, ce n'est que la façon de séparé un personnage en deux.
Sauf pour la toute
première histoire de tous les temps : L'épopée de Gilgamesh.
S'il faut raconter
la première histoire que l'humanité a jamais écrite : alors c'est histoire de
deux amis qui se rencontrent.
Gilgamesh est roi
de Sumer. Civilisé, policé et puissant. Pour calmer son orgueil, les dieux
créaient un être fruste, indomptable et tout aussi puissant : Enkidu.
Ce n'est pas un
hasard que la première histoire de tous les temps soit la rencontre de 2 êtres
dissemblables qui se liront d'amitié. C'est parce que cela a dû être l’histoire
la plus perturbante de l'humanité, une histoire si perturbante qu'elle nous
fascine encore alors que nous avons oublié l'avoir déjà vécu : la rencontre
d'une autre race intelligente.
Il y a 40 000 ans,
les Sapiens ont la peau noire. Ils sont fragiles, leur seule façon de survivre
consiste à rester en groupe social et à chasser en épuisant leur proie. Des
coureurs de fond sans fourrure pour les empêcher de transpirer avec des os
légers et la pupille blanche qui permet d'indiquer en silence ce que l'on
regarde.
Un jour, ils
rencontrent une espèce complètement différente. Neandertal vit au nord, il a la
peau claire pour absorber le soleil, ses muscles et ses os sont épais, il est
lourd, il court mal. Ils vivent un tout petit groupe parce qu'ils sont
puissants. Ils digèrent tout.
La rencontre est
si traumatisante que les descendants la racontent pendant des milliers d'années
au coin du feu.
C'est pour cela
qu'Enkidu est un homme des bois qui parlent aux animaux, c'est ainsi que les
Sapiens ont vu Neandertal qui vivait en famille plutôt qu'en tribu. À manger
parmi les bêtes avec sa mâchoire puissante.
Comme Gilgamesh
apprivoise Enkidu en lui offrant une femme, les Sapiens ont dû agir de même.
Nous en sommes le résultat.
Quand Sapiens et
Neandertal décident de vivre ensemble, les Sapiens décident de leur apprendre
leur technique de chasse à la course. C'est exactement la façon dont Gilgamesh
tue le monstre Humbaba : il l'épuise à la course. Que fait Enkidu, le guerrier
invincible ? Participe au combat ? Non ! Les Neandertal ne sont pas fabriqués
pour courir si longtemps, ils ont trop de fourrure, des os trop lourds. Enkidu
encourage son ami à poursuivre le monstre Humbaba, jusqu'à ce que ce dernier
s'effondre « vaincu par la tempête ». Parce que c'est comme cela que Sapiens a
toujours tué ses proies : il les poursuit des heures jusqu'à ce que ces
dernières épuisées ne puissent plus rafraichir leur corps, et tombent épuisées à
bout de souffle. Soufflant comme des tempêtes.
Enkidu comme
Neandertal meurent.
La rencontre avec
Sapiens a été fatale. Ils ne se sont pas éliminés. Au contraire, ils ont pu se
reproduire entre eux. Seulement Neandertal est une espèce solitaire. Il n'a pas
les défenses immunitaires de Sapiens.
Sapiens vit en
troupeau depuis des millénaires les virus ne l'affectent plus trop. Mais dès que
Neandertal attrape ses maladies, tout comme les Indiens d'Amérique, les solitaires se font
décimer par la variole, la grippe, la tuberculose...
Gilgamesh est une
épopée épique. Le héros affronte des monstres, va en enfer, ramène la plante
d'immortalité volée au dieu. Tout cela parce qu'Enkidu est mort.
Enkidu, l'ami de
Gilgamesh, l'être qui parle aux bêtes, l'être le plus puissant meurt de la façon
la moins épique : il tombe malade, et après une longue agonie s'éteint.
Cela ne
s'invente pas, cela n'est pas romanesque : C'est la réalité. Neandertal est mort
tué par les maladies de Sapiens. Partout, tout le temps, jusqu'à sa disparition
totale, et l'histoire a été si traumatisants pour Sapiens qui a vu une espèce
amie et différente s'éteindre sous ses yeux, qu'ils en ont préservé pour nous
l'histoire. Mais nous n'avons jamais plus la ré-écrire, parce que l'expérience de rencontrer une race alien a été oublié.
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