mercredi 27 avril 2016

Madame Bovary est un conte








Flaubert n'a jamais créé le roman réaliste.
Flaubert a écrit des contes. De son recueil clairement intitulé « trois contes » ; jusqu'à Bouvard & Pecuchet, qui n'est qu'une fable ; En passant par Salamnbo, cette épopée poétique ; Flaubert vise au merveilleux avec ténacité.

Il prétend que Madame Bovary est inspirée d'un fait divers bien réel. Il insiste dans le texte sur le détail réel et concret. Flaubert a dépensé beaucoup d'énergie à présenter son récit comme un fait réel. Cela même devrait nous mettre en garde.

Si l'auteur veille autant à ancrer son roman dans la réalité, c'est parce que c'est tout le contraire. Enfant, petit Flaubert a dû être exposé au récit qui fait sensation depuis sa parution au début du siècle (1808) : les contes de Grimm. Ces contes ont tant d'influence sur l'enfant, qu'il ne veut plus que faire des choses semblables. Ce que, une fois adulte, il veillera à créer avec application.

Un conte en particulier marque le futur écrivain. Il décide d'en relater sa propre version. Mais pour s'écarter au maximum de la source, il décide (à l'opposé de ses habitudes d'écriture féerique) d'en faire un récit très réel.

Comme Blanche Neige, Emma Bovary a la peau très pâle. Comme l'héroïne dans Grimm ses cheveux sont sombres, et elle est très belle.

La scène qui révèle complètement l'influence du conte sur Flaubert et la scène de fin du conte. Chez Grimm, la violence ne s'encombre pas délicatesse sous prétexte que le texte s'adresse à des enfants. Quand Blanche Neige marie le prince charmant, elle invite sa marâtre au mariage. Quand elle est là, elle la force à porter des chaussures de métal chauffé au rouge et à danser jusqu'à ce qu'elle meurt.

Flaubert enfant a été terrorisé par cette scène. Il la reprend avec autant de violence dans son roman. Charles prétend soigner le pied bot d'Hippolyte. Avec autant de détail, il décrit la découpe des tendons, puis la gangrène et la mort de ce personnage secondaire. Toute cette scène du pied bot n'illustre rien. Elle ne fait pas avancer l'intrigue, elle ne qualifie pas mieux les personnages. Elle est cruelle sans raison. Elle n'est là qu'en pendant à la mort de la marâtre de Blanche Neige.

Mais ce n'est pas tout. Autour d'Emma Bovary, il y a beaucoup de personnages secondaires. Combien ? Sept : Charles, Léon, Rodolphe, Monsieur Homais le pharmacien, Lheureux le préteur sur gage, Justin le commis et Binet le percepteur.

Ce que Flaubert n'a pas inclus dans sa ré-écriture c'est un prince charmant. Son récit s'arrête quand Emma mange le poison (la pomme empoisonnée).

Gageons que si le roman avait reçu un accueil favorable (au lieu d'un procès pour atteinte aux bonnes moeurs) nous aurions eu un tome deux.

mercredi 16 mars 2016

Gilgamesh est le récit d'une très très très vieille tradition orale






Il n'y a aucun récit célèbre dans l'histoire de l'humanité qui parle d'amitié.
Don Quichotte est plus le maitre de Sancho Panza, ou l'un est le faire-valoir de l'autre. Achille et Patrocle sont amants. Bouvard et Pecuchet sont les deux facettes de la même pièce, presque un seul individu.

L'amitié n'est pas un sujet de roman, même pas une bonne histoire. Au mieux elle cache un amour secret, au pire, ce n'est que la façon de séparé un personnage en deux.

Sauf pour la toute première histoire de tous les temps : L'épopée de Gilgamesh.

S'il faut raconter la première histoire que l'humanité a jamais écrite : alors c'est histoire de deux amis qui se rencontrent.
Gilgamesh est roi de Sumer. Civilisé, policé et puissant. Pour calmer son orgueil, les dieux créaient un être fruste, indomptable et tout aussi puissant : Enkidu.

Ce n'est pas un hasard que la première histoire de tous les temps soit la rencontre de 2 êtres dissemblables qui se liront d'amitié. C'est parce que cela a dû être l’histoire la plus perturbante de l'humanité, une histoire si perturbante qu'elle nous fascine encore alors que nous avons oublié l'avoir déjà vécu : la rencontre d'une autre race intelligente.

Il y a 40 000 ans, les Sapiens ont la peau noire. Ils sont fragiles, leur seule façon de survivre consiste à rester en groupe social et à chasser en épuisant leur proie. Des coureurs de fond sans fourrure pour les empêcher de transpirer avec des os légers et la pupille blanche qui permet d'indiquer en silence ce que l'on regarde.
Un jour, ils rencontrent une espèce complètement différente. Neandertal vit au nord, il a la peau claire pour absorber le soleil, ses muscles et ses os sont épais, il est lourd, il court mal. Ils vivent un tout petit groupe parce qu'ils sont puissants. Ils digèrent tout.

La rencontre est si traumatisante que les descendants la racontent pendant des milliers d'années au coin du feu. 
C'est pour cela qu'Enkidu est un homme des bois qui parlent aux animaux, c'est ainsi que les Sapiens ont vu Neandertal qui vivait en famille plutôt qu'en tribu. À manger parmi les bêtes avec sa mâchoire puissante.

Comme Gilgamesh apprivoise Enkidu en lui offrant une femme, les Sapiens ont dû agir de même. Nous en sommes le résultat.

Quand Sapiens  et Neandertal décident de vivre ensemble, les Sapiens décident de leur apprendre leur technique de chasse à la course. C'est exactement la façon dont Gilgamesh tue le monstre Humbaba : il l'épuise à la course. Que fait Enkidu, le guerrier invincible ? Participe au combat ? Non ! Les Neandertal ne sont pas fabriqués pour courir si longtemps, ils ont trop de fourrure, des os trop lourds. Enkidu encourage son ami à poursuivre le monstre Humbaba, jusqu'à ce que ce dernier s'effondre « vaincu par la tempête ». Parce que c'est comme cela que Sapiens a toujours tué ses proies : il les poursuit des heures jusqu'à ce que ces dernières épuisées ne puissent plus rafraichir leur corps, et tombent épuisées à bout de souffle. Soufflant comme des tempêtes.

Enkidu comme Neandertal meurent.
 La rencontre avec Sapiens a été fatale. Ils ne se sont pas éliminés. Au contraire, ils ont pu se reproduire entre eux. Seulement Neandertal est une espèce solitaire. Il n'a pas les défenses immunitaires de Sapiens. 
Sapiens vit en troupeau depuis des millénaires les virus ne l'affectent plus trop. Mais dès que Neandertal attrape ses maladies, tout comme les Indiens d'Amérique, les solitaires se font décimer  par la variole, la grippe, la tuberculose...

Gilgamesh est une épopée épique. Le héros affronte des monstres, va en enfer, ramène la plante d'immortalité volée au dieu. Tout cela parce qu'Enkidu est mort.
Enkidu, l'ami de Gilgamesh, l'être qui parle aux bêtes, l'être le plus puissant meurt de la façon la moins épique : il tombe malade, et après une longue agonie s'éteint. 

Cela ne s'invente pas, cela n'est pas romanesque : C'est la réalité. Neandertal est mort tué par les maladies de Sapiens. Partout, tout le temps, jusqu'à sa disparition totale, et l'histoire a été si traumatisants pour Sapiens qui a vu une espèce amie et différente s'éteindre sous ses yeux, qu'ils en ont préservé pour nous l'histoire. Mais nous n'avons jamais plus la ré-écrire, parce que l'expérience de rencontrer une race alien a été oublié.
  

mercredi 17 février 2016

L'histoire de Dédale raconte l'apocalypse




Dédale, le créateur du labyrinthe, a laissé son nom à l'étrange édifice qui est une maison et un piège à la fois.

Son histoire commence pourtant avant que Thésée n'affronte le Minotaure dans le Dédale, et continue après quand il perd son fils.

L'histoire de Dédale comprend sans doute les personnages les plus célèbres de l'antiquité. D'Homère nous nous souvenons seulement d'Ulysse. Mais Dédale, lui, partage la vedette avec Icare, Minos, le Minotaure, Thésée, Ariane. L'histoire de Dédale est bien plus mémorable parce qu'elle touche à notre mortalité en tant qu'espèce.

Minos, le roi de crête dans la légende est devenu le juge de l'enfer à sa mort.

Minos est le premier employeur de Dédale. C'est à lui qu'il demande la création du labyrinthe. Mais avant cela il a fallu passer un entretien d'embauche.
C'est la première histoire connue de Dédale. Minos cherche un ingénieur. Il propose le poste à qui passera un fil de l'ouverture à la sortie d'un coquillage de mer. Tous échouent.
Dédale attache un fil à la patte d'une fourmi qui traverse le coquillage et lui obtient le poste. On voit déjà que le fil comme outil pour s'échapper d'un parcours compliqué est présent avant même que le labyrinthe soit construit.

Minos n'est pas encore juge des Enfers ; il est juste Roi. Et il aime faire sentir à ses sujets sa puissance. Quand la population admire l'intelligence de Dédale pour l'exploit de la fourmi, le roi prend le fil de chaque côté. Il tire dessus, brisant le coquillage.

C'est la première destruction.
Parce que tout ce que touche Dédale doit être détruit. Le coquillage représente la mer et l'eau. La première destruction touche tout ce qui se trouve dans cet élément. On sait déjà ou se déroule la dernière destruction : dans l'air.

Plusieurs choses sont détruites après que Dédale enferme le Minotaure dans le labyrinthe. La plus évidente c'est le taureau à corps d'homme, tué par Thésée.
C'est la destruction du règne animal.
Puis c'est la destruction des hommes. Thésée rentre chez lui et oublie de mettre des voiles blanches pour annoncer son succès. En croyant son fils mort, le père de Thésée saute de la falaise.
C'est la destruction du règne humain.

Vient la dernière destruction. Sans doute la plus dure pour l'auteur à justifier. Minos enferme Dédale avec son fils dans son propre labyrinthe pour le punir de n'avoir pas pu empêcher la mort du Minotaure.
Dédale fabrique des ailes. Des plumes collées avec de la cire d'abeille, pour que l'on comprenne bien qu'il s'agit de l'air dont la fable parle. Les oiseaux et les abeilles.
Icare monte trop près du soleil, et lui aussi s'écrase.

À cause de Dédale, tout ce qui est dans l'Eau est détruit, ce qui est sur Terre, les hommes et les bêtes sont détruits, ce qui est dans l'Air est détruit.

Dédale ne devrait pas donner son nom à un labyrinthe. Le labyrinthe n'est qu'une construction accessoire dans l'histoire, au mieux, le symbole de la Terre, comme le coquillage représenté l'Eau. Dédale devrait donner son nom à une bombe atomique. La prochaine qui sera assez puissante pour tout détruire.